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Guide des Sauces
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Fonds blancs, Fonds bruns, Fonds de poisson, Roux blancs, Roux blonds, Roux bruns, Liaison, Compositions, Conservation des sauces |
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Fonds, Roux, Sauces blanches, Sauces brunes, Beurres, Mayonnaises, Vinaigrettes, Marinades, Saumures |
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Fonds, Sauces brunes, Sauces blanches, Émulsions, Sauces tomates, Vinaigrettes, Mayonnaises |
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Histoire des sauces de cuisine
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Les sauces indiquées dans les ouvrages de Montagné ou d'Escoffier, à l'aide des fonds de cuisine qui en constituent la base, ne peuvent être utilisées que dans la grande cuisine et la grande restauration. Les sauces ont offert la réputation de la cuisine traditionnelle et peuvent parfaitement être adaptées aussi près que possible en respectant les formules des grands Maitres sans passer des heures de préparation dans sa cuisine.
Les sauces à travers l'histoire
Depuis l'Antiquité, les sauces servent à améliorer en saveurs et en couleurs les mets les plus ordinaires comme les plus raffinés. C'est donc tout naturellement qu'au rythme des siècles les sauces ont évolué à mesure que se sont développés la gastronomie et le savoir-faire culinaire.
Plusieurs archives témoignent de la pratique d'une cuisine organisée et érudite chez les civilisations de l'Antiquité. Le commerce de denrées de luxe telles que l'huile d'olive, les épices et les aromates d'Orient et d'Afrique y permettait déjà le développement d'une certaine forme de gastronomie.
Chez les Grecs, on associait le bien-manger avec les produits de la mer. Des poissons de tous genres étaient consommés avec gourmandise, crus ou pochés, en sauce ou farcis. Immense richesse pour tous, la mer offrait aussi dans la pêche de certaines espèces rares des mets de roi qui étaient servis avec des sauces couleur d'azur ou d'or.
Des recettes compilées et brillamment commentées par un Grec du nom d'Archestrate, gourmet et grand voyageur contemporain de Périclès, indiquent clairement cette préférence. Les Romains appréciaient eux aussi les poissons mais se régalaient également de bons vins et de viandes, en particulier d'agneau et de cochon de lait. Festins et banquets, symboles d'opulence et de pouvoir, ont amené sur les tables des mets aussi divers que les langues de flamants roses, la confiture de violettes, le potage aux huîtres ou le poulet en sauce blanche.
Au 1er siècle après j.-C., un cuisinier nommé Apicius est devenu célèbre pour avoir réuni en recueil les recettes les plus aimées des notables romains. Ce recueil, "L'Art de cuisiner", aussi appelé les Dix livres de la cuisine, est resté, jusque tard au Moyen Âge, le livre de référence culinaire le plus utilisé.
Diététicien avant la lettre, Apicius était aussi reconnu comme un spécialiste de la sauce aux truffes et avait, paraît-il, un doigté incomparable pour monter une mayonnaise. Il utilisait aussi des oeufs pour lier ses sauces, notamment des blancs d'oeufs battus pour la sauce blanche qu'adorait l'empereur Héliagabale.
Les recettes de L'Art de cuisiner ont donné aux historiens et aux gastronomes de précieuses indications sur les habitudes alimentaires de cette époque et notamment sur un condiment de base de la cuisine antique: le garum. Grecs et Romains avaient chacun leur façon de le préparer, mais la recette de base consistait à en faire une mixture très salée et concentrée qui devait servir à aromatiser la plupart des recettes.
Le garum résultait, en gros, d'un mélange d'intestins et de parures de poissons macérés dans le sel et les herbes mentholées jusqu'à putréfaction. On l'ajoutait en petite quantité à la plupart des sauces qui accompagnaient légumes et salades, poissons et fruits de mer, ou on le consommait nature, pour rehausser un mets, comme on fait aujourd'hui du sel et du poivre. Le garum se vendait à prix d'or quand le mélange se composait de viscères de poissons luxueux. Apicius le considérait comme aphrodisiaque lorsqu'il était apprêté avec des épices fortes.
Riche en huile d'olive, miel, épices, poissons et fruits de mer, la cuisine romaine présentait cependant peu de plats en sauce. Parce que les Romains mangeaient couchés sur des lits, leur nourriture se devait d'être apprêtée de façon qu'on puisse la consommer de manière pratique. C'est d'ailleurs pourquoi presque toutes les viandes et tous les poissons se consommaient en purée ou en croquettes. Les sauces, elles, étaient composées d'herbes et d'épices broyées allongées au garum ou au vin et adoucies au miel: poivre, menthe, sarriette, persil étaient les ingrédients les plus utilisés pour des sauces préparées à part et servies à la manière d'un condiment. Une autre particularité de cette cuisine montre que les viandes rouges étaient peu prisées, comme d'ailleurs les sauces à base de jus de viande. Les cuisiniers romains avaient l'habitude de faire bouillir les pièces de viande avant de les griller. Ce procédé faisait se dissoudre les sucs de la viande dans l'eau de cuisson. Il ne restait donc rien au fond du récipient pour réaliser une sauce soit par déglaçage ou par un autre procédé.
Il fallut attendre au Moyen Âge, entre les Ve et VIIe siècles, pour voir apparaître les premières recettes de sauces à base de jus de viande. Très inspirée de la tradition romaine, la cuisine médiévale a mis longtemps avant d'atteindre son apogée, mais elle a su, malgré tout, marquer la gastronomie d'un savoir-faire très particulier.
Tout comme les Romains, les gens du Moyen Âge se sont beaucoup penchés sur les besoins du corps humain pour préparer leurs aliments. C'est pourquoi la combinaison salé/sucré - le garum était toujours mêlé au miel dans l'Antiquité - est restée longtemps la base de toutes les recettes, car le salé comme le sucré facilitaient, pensait-on alors, la digestion.
Par mesure d'hygiène et pour éliminer les éléments trop gras de la viande, on a continué à faire bouillir viandes et volailles avant de les embrocher pour les rôtir sur des braises. Au Moyen Âge, les cuisiniers ont créé de nombreuses marinades (faites avec du vin, des herbes aromatiques et du miel) pour mieux conserver la viande et la sucrer avant de la cuire. Le jus de ces viandes, récolté durant la cuisson, servait dans la composition de sauces d'accompagnement. On recueillait le suc du jus de viande par la technique du déglaçage, au vinaigre le plus souvent, ou au vin, puis on agrémentait ces "saulces" de fruits acides et d'épices. À l'instar de la cuisine antique, qui faisait grand emploi d'épices et d'aromates, les cuisiniers médiévaux ont perpétué cet usage, particulièrement au Xlle siècle à cause des croisés qui les rapportaient en abondance de Terre sainte. Gingembre, cannelle et coriandre, muscade, poivre notamment, alternaient fréquemment dans les recettes de sauces.
Autour de 1375, Guillaume Tirel, dit Taillevent, à la demande de son roi, Charles V, publiera un ouvrage, "L:e Viandier", dans lequel se note une progression importante dans l'art d'apprêter la nourriture. Ce livre de cuisine, majeur dans l'histoire de la gastronomie, détaille les aliments les plus utilisés et les techniques culinaires pratiquées au XlVe siècle. Des méthodes de cuisson aux façons de servir aux tables des rois, l'apprenti cuisinier et même les grands chefs ont trouvé matière à apprendre dans le Viandier. Ce livre est essentiel pour connaître les différentes sauces employées alors autant pour mijoter un plat que pour l'accompagner. L'auteur y a consacré de nombreuses pages, expliquant avec science leur composition et leur préparation. Les ingrédients acides, comme le verjus - un mélange composé de jus de raisin vert et d'oseille assaisonné de fines herbes -, le vinaigre de vin et le citron y sont dominants. De ces mélanges aigres-doux résultaient des sauces qui possédaient leurs noms. Taillevent était un spécialiste de la dodine, une sauce préparée avec des sucs de cuisson de volaille (d'où son nom, provenant de "dodu") auxquels il ajoutait du verjus, du vin ou du lait.
Cette sauce, tout comme la poivrade (à base de poivre et de vin) et la Robert (vin blanc, vinaigre et moutarde), est encore aux menus des grands chefs. Outre les sauces composées au verjus, il y est mention aussi d'une sauce appelée « cameline », faite de gingembre, de girofle, de poivre, de cannelle, de vinaigre, et qui était aussi un élément de base de la cuisine médiévale. Au besoin, les sauces pouvaient s'épaissir avec de la mie de pain non levée. Si quelquefois les recettes requéraient l'utilisation de lait, d'oeuf ou de fromage, en revanche aucune matière grasse comme le beurre n'entrait dans la composition des sauces médiévales.
jusqu'au milieu du XVe siècle, l'art des sauces est encore naissant. A peine une trentaine de recettes exclusives de sauces est dans les usages culinaires et seulement pour rehausser les repas et banquets des nantis.
La fin du Moyen Âge apportera cependant une ère de changement. Du début du XVIe siècle et pendant plus d'un siècle, la prospérité économique changera la structure de la société du temps. Tout comme les aristocrates, les nouveaux bourgeois sauront apprécier les plaisirs de la table. Grâce à eux, l'engouement pour l'art culinaire a repris, ce qui a entraîné la gastronomie dans une autre période de transformation.
Depuis la Renaissance en effet, l'Europe a connu un essor exceptionnel dans tous les domaines. Explorations et découvertes scientifiques ont contribué à changer les habitudes alimentaires du vieux continent. Des Amériques et d'Orient provenaient désormais le chocolat, la vanille et le café, qui a vu ses premiers adeptes se réunir dans des établissements spécialisés pour mieux le déguster. Pommes de terre, haricots, maïs et tomates, pour ne nommer que quelques aliments, sont venus s'ajouter à l'alimentation quotidienne. Le miel, longtemps apparu essentiel dans la cuisine antique et médiévale, est remplacé, en cette fin du XVIIe siècle, par le sucre des Antilles. Il était d'ailleurs l'ingrédient indispensable aux sauces et les viandes en étaient saupoudrées avant d'être cuites.
Cette révolution alimentaire entraînera de grandes mutations dans la pratique de l'art culinaire aussi bien que dans la littérature gastronomique. Autour de 1651, un cuisinier natif de connu sous le pseudonyme de La Varenne, publiera un livre de cuisine d'une grande rigueur intitulé "Le Cuisinier français".
Les recettes et les conseils donnés dans cet ouvrage ont assurément démontré que les bases d'un savoir-faire culinaire s'établissaient. Dans les cuisines des notables du temps, on savait désormais mijoter des sauces irrésistibles en utilisant les fonds et les roux, la mirepoix (mélange de jambon, carotte, céleri, oignon, épices), la duxelle (champignons et oignon en dés revenus au beurre), et la farine pour les lier. Ces sauces, appelées « grandes sauces », étaient les favorites du roi Louis XV et elles ont constitué les bases d'un art culinaire qui allait se développer avec raffinement et technique au long des siècles à venir.
Les jus de viande et les coulis entraient dans plusieurs recettes et on savait procéder à la cuisson prolongée d'une sauce pour la réduire, donc lui donner une texture moins liquide. Ces nouvelles façons de cuisiner les sauces se sont ajoutées au déglaçage, déjà en vigueur dans les usages culinaires médiévaux.
Entre les XVIlle et XIXe siècles, l'art culinaire connaîtra une envolée spectaculaire. Les méthodes de travail se perfectionneront et la variété de plus en plus grande des aliments permettra d'élargir les répertoires culinaires. Les cuisiniers deviendront de Véritables artistes et l'art d'apprêter les sauces transformera à jamais les plaisirs de la table.
On doit ce profond bouleversement à Marie-Antoine Carême, dit Antonin Carême, qui est né à Paris en 1784. Abandonné jeune par sa famille, il fait ses débuts en cuisine dans de petits bistrots pour gagner sa vie. À 16 ans, comme il est doué et travailleur, il est remarqué par le grand Bailly et entrera comme apprenti dans les cuisines de ce très célèbre pâtissier traiteur. C'est ainsi qu'a commencé une formidable carrière qui l'a mené à travailler dans les meilleures cuisines d'Europe, en particulier à Paris chez Talleyrand, en Angleterre chez George IV, et chez le tsar de Russie, Alexandre 1er. Carême a inventé le vol-au-vent et la meringue mais, au-delà de son génie culinaire, ce sont ses talents littéraires qui en ont fait le premier réformateur de la cuisine française.
Quelques mois avant sa mort, en 1833, il publiera un dernier ouvrage, "L'Art de la cuisine française au XIXe", bible culinaire en cinq volumes dans laquelle la préparation des sauces est véritablement devenue un art à part entière. Dans cet ouvrage, il a classifié les sauces pour mieux les utiliser et les adapter selon leur couleur et leur texture, qu'elles soient chaudes ou froides. Quatre sauces mères, ou grandes sauces, formaient la base de sa cuisine: l'espagnole, le velouté, l'allemande et la béchamel. Choisissant et dosant méticuleusement des ingrédients, il a créé ce qu'il a appelé des "petites sauces", soit des apprêts savoureux épousant à la perfection la saveur dominante d'un plat.
Voyons ce qu'il en dit dans son traité:
"Ce qui constitue la succulence des petites sauces en général, c'est la précision avec laquelle nous marquons leur assaisonnement car si quelques aromates ou épiceries qui les composent se font trop sentir, aussitôt un palais exercé s'en aperçoit, et la science du cuisinier disparaît."
Une soixantaine de sauces naîtront de son génie culinaire et la plupart d'entre elles font encore partie de nos menus. Carême a utilisé pour composer ses meilleures sauces des truffes, du jambon et des champignons, des vins blancs et rouges, des portos et d'autres alcools, des fumets et des fonds, des jus d'agrumes, et finalement certaines épices, dont il n'a jamais suggéré le surdosage comme la coutume le voulait depuis le Moyen Âge. C'est sous sa baguette que les sauces ont commencé à être mijotées avec des ingrédients que l'on filtrait après cuisson et que l'on jetait ensuite, comme la mirepoix, les huîtres, les truffes pour subtilement en parfumer le goût et obtenir un produit fini éminemment raffiné. Il prenait toujours soin de préparer ses grandes sauces en faisant cuire à feu doux le mélange beurre/farine, garant d'une liaison des plus lisses, puis travaillait habituellement ses petites sauces au bain-marie. On doit à ce grand maître queux la véritable naissance des sauces et du coup celle de la cuisine moderne, par opposition aux connaissances culinaires qui avaient cours jusque-là.
Dès la fin du XIXe siècle, la fine cuisine possède désormais des assises solides. La gastronomie offrait alors à la créativité des cuisiniers de nouveaux champs d'exploration.
Au début du XXe siècle, c'est au tour d'Auguste Escoffier de parer la liste des grands réformateurs de la fine cuisine. Par des méthodes de travail plus souples, mieux adaptées aux produits et aux usages de son époque, le créateur de la "pêche Melba" est venu bouleverser, dans ses traités culinaires, la classification des sauces préconisée par Carême.
L'abus d'ingrédients de liaison avait entraîné les sauces dans une foulée irréversible de changement, car elles avaient perdu leurs saveurs délicates au détriment d'une lourdeur parfois indigeste. Escoffier a remplacé par des fumets, des concentrés et des jus naturels les sauces espagnole et allemande, qu'il jugeait trop lourdes pour composer d'autres sauces, délaissant ainsi certains ingrédients gras, peu indiqués pour une cuisine allégée et d'avant-garde. Escoffier a également internationalisé l'art des sauces en intégrant à la cuisine française en particulier des sauces d'origine anglaise, comme la sauce Cumberland.
Durant les conflits mondiaux, la gastronomie prendra une autre voie, celle de la cuisine régionale. En France particulièrement, plusieurs spécialités inspirées de traditions très anciennes verront le jour et s'afficheront aux menus les plus célèbres.
Les sauces emboîteront le pas dans cette nouvelle façon de faire et agrémenteront "à la normande" (à base de crème fraîche), "à la dijonnaise" (à base de moutarde) ou "à la provençale" (à base de tomates et de basilic) les plats d'une cuisine généreuse.
La nouvelle cuisine, née entre les années 1960 et 1970, profitera des excès de la cuisine régionale pour proposer aux gourmets des recettes dites légères, aux portions minimalistes. Avec moins de sauces au menu, cette cuisine orientée davantage vers les ingrédients du marché, légumes et fruits participera à une vaste prise de conscience des bienfaits de manger sainement. Cette cuisine santé sera à la mode pour une période assez courte, car ses plats, trop parcimonieux, éloigneront les gastronomes.
Tous les grands chefs qui ont fait des sauces une de leurs spécialités n'ont pas manqué d'imagination pour les nommer. Les sauces ont pour la plupart vu le jour dans un siècle fécond de grande cuisine, le XVIIIe. Elles sont appelées matelote, oursinade ou marinière (pour les parfums de la mer), gribiche ou ravigote (pour relever les salades), chasseur ou diable (pour déguster les volailles), royale ou Richelieu !
La dénomination d'une sauce doit révéler au gourmet sa composition de base. Par exemple, une sauce est appelée "financière" parce qu'elle contient entre autres des ingrédients riches comme du jambon maigre, des truffes et du vin de Madère. Ou encore, si la sauce s'enrichit des condiments typiques d'une région, elle devient avec
- de l'ail : l'aïoli
- de l'échalote : bordelaise
- du vin : bourguignonne
- etc.
Les sauces ont aussi porté le nom de leurs créateurs, telles les sauces Mornay, Choron ou Foyot, ou ont été souvent baptisées après des victoires militaires célèbres: par exemple, la sauce "mahonnaise", ou mayonnaise , nommée ainsi en 1756 pour marquer la victoire française à Port-Mahon, dans les Baléares.
Aujourd'hui encore, les sauces n'en finissent pas d'être adaptées pour convenir à tous les mets. Elles font partie d'une cuisine d'ailleurs et d'ici qui allie la création culinaire à la tradition pour un plaisir de bien manger toujours à renouveler!
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